Méthodologie

Question de recherche

Quelles sont les composantes des perceptions de justice et d’injustice au sein de la Catégorie Economique de HELMo et quelles en sont les conséquences concrètes ?

Hypothèse de recherche

Des perceptions d’injustice ont un effet direct sur la coopération et l’implication des acteurs au sein de la Catégorie Economique de la Haute Ecole HELMo.

La déontologie et la légitimité du chercheur : la posture et l’éthique du médiateur

La démarche de recherche adoptée[1] montre un parallèle entre la posture du médiateur et la posture du chercheur telle qu’elle est exemplifiée dans le Manuel d’analyse qualitative de Christophe Lejeune (Lejeune, 2014, p. 60‑68).

En effet, dans le cadre de la présente étude de cas, le chercheur privilégie le vécu des acteurs en les interrogeant sur leur expérience lors d’entretiens confidentiels. Il analyse le matériau empirique ainsi collecté en se penchant sur le vécu, les émotions et sentiments des acteurs (Kaufmann, 2004; Lejeune, 2014). Il agit en tiers neutre, indépendant et impartial. Il est soumis à la confidentialité.

Tout comme la participation à une médiation, la participation aux entretiens, qu’ils soient individuels ou collectifs, est un processus volontaire et soumis à la confidentialité ; le rôle du chercheur est parallèle au rôle du médiateur en ce qu’il est impartial, neutre et indépendant dans le cadre de sa pratique.

Principes de la déontologie de la recherche

Processus volontaire

Les participants expriment leur volonté de participer aux entretiens (individuels ou collectifs) dans le but de pouvoir partager leurs perceptions de justice ou d’injustice et de partager leur expérience sur le Campus Guillemins. Chaque participant peut se retirer et mettre fin à sa participation unilatéralement à tout moment. Le processus est volontaire et chaque participant consent librement à y participer de façon active.

Rôle du chercheur

Dans le cadre de la recherche-action, le chercheur agit comme intervenant neutre en vue de favoriser l’expression de l’expérience, des ressentis et des besoins en matière de perception de justice sur le Campus Guillemins.

Au cours des entretiens, il s’emploie à créer des conditions qui facilitent et permettent :

  • l’écoute attentive des attentes et difficultés manifestées ;
  • le partage et la compréhension par les participants de leurs expériences et difficultés ;
  • la réflexion des participants par rapport à ces expériences, attentes et difficultés.

Impartialité

Le chercheur agira en tout temps de façon neutre et impartiale et ne donnera pas d’avis aux participants. Il pourra cependant leur fournir des grilles de lecture théoriques en vue de les aider à expliciter ce qu’ils ressentent.

Confidentialité

Tout ce qui est dit ou écrit au cours des entretiens individuels ou collectifs est formulé sous toutes réserves. Les participants s’engagent à respecter la confidentialité par rapport aux séances auxquelles ils participent. Le point sur la confidentialité sera fait à l’issue de chaque entretien : de commun accord, les participants décideront des éléments éventuels qu’ils décideront de dévoiler à l’extérieur du groupe.

La confidentialité couvre l’ensemble des entretiens.

Un protocole d’entretien[2] sera signé par le chercheur, ses assistants éventuels ainsi que l’ensemble des participants aux entretiens individuels ou collectifs, en vue de respecter la déontologie de recherche et de clarifier la méthodologie de recherche.

Méthodologie de recherche

Recherche-action

La présente recherche est une étude des perceptions ou d’injustice de justice dans la catégorie économique de HELMo et de leurs conséquences concrètes pour les acteurs. Potentiellement, des perspectives d’action pourraient en être dégagées.

C’est une recherche dans l’action : il s’agit pour le chercheur de « participer tout à la fois d’un mouvement de production de connaissances, en acceptant l’implication dans l’action au côté des acteurs dans une perspective critique » (Amblard, 2005, p. 222).

Démarche de travail

Les principes généraux de la recherche en sciences sociales seront appliqués tout au long de la démarche (Van Campenhoudt & Quivy, 2011).

Les principales catégories d’acteurs ont été recensées (Olivier de Sardan, 1995):

  • personnel administratif
  • personnel ouvrier
  • personnel enseignant
  • personnel enseignant avec détachement
  • personnel vacataire
  • directeurs de section
  • directeurs.

Entretiens individuels

Des entretiens compréhensifs individuels, confidentiels et semi-directifs (Kaufmann, 2004) seront menés avec des membres de chaque catégorie jusqu’à saturation des données. Un entretien dure en moyenne une heure – une heure et demie ; chaque entretien est enregistré puis retranscrit pour analyse.

Des données pourront être issues également de commentaires faits au chercheur par des acteurs qui auront donné leur accord explicite de rapporter la teneur de leurs propos en toute confidentialité.

Les entretiens individuels et les commentaires éventuels seront analysés via la méthodologie de recherche qualitative par théorisation ancrée (Lejeune, 2014).

Analyse en groupe

Par ailleurs, des entretiens en groupe seront organisés et analysés selon la méthode de recherche d’analyse en groupe (Campenhoudt, Chaumont, & Franssen, 2005) : des groupes hétérogènes rassemblant de 7 à 12 membres de différentes catégories d’acteurs participeront à plusieurs séances en vue de produire une connaissance réflexive sur la base de leurs propres récits.

Principes de l’analyse en groupe

(Van Campenhoudt et al., 2005) – adaptation libre du résumé de Laure Compère (Compère, 2015)

Un dispositif qui associe les acteurs

L’approche est inductive et dépasse le clivage entre acteurs et chercheur : les acteurs partagent leur propre réalité du terrain et, même si leur point de vue ne représente pas la vérité, il s‘agit de leur propre réalité, qu’ils sont seuls à pouvoir dire. L’analyse en groupe se fonde sur la réflexivité des acteurs au sujet de l’expérience qu’ils ont narrée : elle est doublement interactive –  au niveau du récit et de l’analyse. Le pari ici est que la connaissance d’un phénomène se construit dans la confrontation des interprétations et dans la coopération conflictuelle, entre acteurs d’une part, entre acteurs et chercheur d’autre part. Les acteurs sont placés dans les rapports sociaux : l’objectif est de saisir une dynamique à l’œuvre entre acteurs sur le terrain.

Ensemble, les participants vont analyser des situations auxquelles ils sont confrontés dans leur réalité professionnelle en lien avec leurs perceptions de justice ou d’injustice. Les étapes sont les suivantes (Campenhoudt et al., 2005, p. 66) ; une estimation du temps nécessaire a été ajoutée en colonne de droite (Compère, 2018) ainsi qu’une brève description des étapes (Compère, 2015) :

En parallèle, la recherche bibliographique et les lectures théoriques seront poursuivies.

Les données issues de ces diverses sources d’information (entretiens individuels, entretiens en groupe, commentaires spontanés avec accord d’utilisation, recherche bibliographique) seront croisées par la triangulation : il s’agit de mettre en relation les points de vue dont on pense que la différence fait sens en vue d’arriver à définir des « groupes stratégiques » – des « agrégations d’individus qui ont, globalement, face à un même problème, une même attitude »  (Olivier de Sardan, 1995, p. 12).

Les données collectées seront analysées sous différents prismes théoriques :

  • les principes de la justice organisationnelle (J. Greenberg, 1987) ;
  • les cités argumentatives et l’économie des conventions (Boltanski & Thévenot, 2008) ;
  • la théorie du don et du contre-don (Mauss & Weber, 2012) (Caillé & Grésy, 2017)

Assises théoriques

La perception de justice sera évaluée par le biais, essentiellement, de trois grandes théories :

  • la théorie de la justice organisationnelle (J. Greenberg, 1987)
  • la théorie des cités argumentatives (Boltanski & Thévenot, 2008)
  • la théorie du don et du contre-don (Mauss & Weber, 2012) (Caillé & Grésy, 2017)

La théorie de la justice organisationnelle

La justice organisationnelle se réfère à la perception de l’équité prévalant dans les échanges qui ont lieu au sein d’une organisation, qu’ils soient sociaux ou économiques : relations entre l’individu et ses supérieurs, ses subordonnés, ses pairs, et l’organisation en tant que système social. (traduction libre) (Beugré, 1998, p. xiii)

Cette perception de justice – ou d’injustice – jouerait un rôle prépondérant sur l’engagement des individus vis-à-vis de leur organisation ainsi que leur satisfaction au travail et leur motivation, voire sur leur attitude de coopération entre collègues et, partant sur la bonne entente dans les équipes. (Didry, 2008; Salwa Salek, 2006)

La justice organisationnelle regroupe trois dimensions :

  • la justice distributive ;
  • la justice procédurale ;
  • la justice interactionnelle, aussi appelée interpersonnelle ou relationnelle.

(Fall, 2014; J. Greenberg, 1987; Mendoza, 2017; Müller & Djuatio, 2011)

Les auteurs s’accordent pour les définir comme suit.

La notion de justice distributive représente l’équité selon laquelle les ressources sont distribuées aux membres de l’organisation, et surtout si les individus perçoivent cette distribution comme (in)juste : selon eux, les rétributions et les contributions sont-elles équilibrées ?  Les ressources incluent les rétributions (rémunération, avantages, promotions, …) mais également les ressources mises à disposition (conditions de travail, matériel, locaux, …).

Dans le cadre de la justice procédurale, ce qui importe est la manière (in)juste selon laquelle les procédures ont été mises en œuvre pour aboutir aux décisions. Si le processus de décision est perçu comme juste, les procédures ont plus de chance également d’être perçues comme justes, et inversement. Eventuellement, également, les individus ont-ils voix au chapitre en matière de prise de décision ?

Enfin, la notion de justice interactionnelle, aussi appelée justice relationnelle ou interpersonnelle, est relative à la perception des relations interpersonnelles, notamment la manière dont les supérieurs hiérarchiques communiquent et informent au sujet des décisions et règles mises en œuvre.

Les dimensions de la taxonomie de la justice organisationnelle (J. Greenberg, 1987) devraient permettre de donner du sens aux commentaires des acteurs interrogés :

Réactif >< proactif
  • Réactif : la manière dont les gens tentent d’échapper aux injustices, ou de les éviter.
  • Proactif : les comportements destinés à promouvoir la justice.
Procédures >< contenu
  • Procédures : l’équité des procédures utilisées, la manière dont les objectifs sont atteints.
  • Contenu : l’équité des résultats de la distribution.

Le tableau ci-dessous permettra probablement d’investiguer les différentes réactions / actions mises en œuvre par le personnel :

La théorie des cités argumentatives

(Boltanski & Thévenot, 2008)

Selon Boltanski et Thévenot, l’épreuve est le moment crucial dans le régime de dispute : il s’agit du moment où les acteurs s’affrontent. Par extrapolation, ce moment peut être l’entretien avec le chercheur, au cours duquel l’acteur exprime ses griefs en les justifiant.

Dans l’épreuve de justification, les acteurs doivent forcément se référer à un principe commun qui puisse être opposé face à l’autre acteur. Il s’agit de monter en généralité : on n’oppose plus le fait précis, mais on se réfère à un principe supérieur qui permet de justifier l’action.

On revendique publiquement au nom d’une vérité générale face aux autres acteurs. Les acteurs se réfèrent donc à une forme de bien commun.

La montée en généralité peut se poursuivre jusqu’à aboutir à un principe supérieur commun, par rapport auquel chacun ne peut qu’être d’accord : l’accord est atteint, mettant fin à la dispute. La série des « parce que » est épuisée et arrête donc la remontée en généralité, rendant l’argument acceptable. (Boltanski & Thévenot, 2008, p. 87)

Lorsqu’on inventorie les compétences mises en œuvre pour porter un grief ou pour répliquer par une justification, on voit apparaître six référentiels de grandeur, six balises « objectives » du bien commun. Ces six critères sont exhaustifs. Leur caractère non illimité facilite la négociation des accords. Ces référentiels, ces « principes communs », représentent l’élément central d’une logique de justification basée sur une conception du bien commun. Ces référentiels, ces différentes logiques argumentatives, ont été baptisés « cités ».

La Cité inspirée

Le principe supérieur commun y est l’innovation, la créativité. Est « grande » la personne qui est créative et se laisse guider par son imaginaire. Les personnes sont des artistes, des mystiques, des « rêveurs ». Elles ont une « vision » de ce qu’elles veulent créer.

La Cité domestique

Le principe supérieur commun y est la tradition : « On a toujours fait comme ça. » La fidélité (à une tradition), la loyauté (à une personne), le respect (de la hiérarchie), la docilité et l’obéissance (au pater familias, au chef) sont des principes essentiels.

La Cité civique

Le principe supérieur commun y est la représentativité : on parle au nom d’un collectif et non en son propre nom. Les personnes sont mandatées, élues, déléguées, « officielles ». La grandeur s’exprime dans le respect de l’intérêt général et des institutions.

La cité de l’opinion

La grandeur est dans la bonne image donnée, dans le « Qu’en dira-t-on », la renommée : on est « quelqu’un de connu », une « vedette ». La notoriété y est le principe supérieur commun.

La cité marchande

Le principe supérieur commun y est la compétition, l’intérêt : la grandeur est de réaliser du profit, de posséder des biens & des relations. La convoitise, le désir de biens sont essentiels. Est grand dans cette cité celui qui est riche.

Dans cette cité, l’intérêt individuel devient une notion de bien commun : si chacun suit son intérêt individuel, les désirs de chacun seront comblés.

La cité industrielle

Le principe supérieur commun y est l’efficacité : est grand celui qui est performant, productif, méticuleux, organisé.

Les mondes

Les mondes, selon Boltanski et Thevenot, sont l’ensemble de ces principes supérieurs communs (les cités) et des acteurs et parties prenantes qui s’en réclament. Ils ont développé un tableau (voir assises théoriques) permettant de visualiser la complexité que peut représenter une organisation où plusieurs mondes cohabitent, ce qui est probablement toujours le cas : il est alors indispensable que les acteurs de l’organisation soient bien informés de la mission de l’organisation (sa raison d’être) afin qu’ils sachent quels sont les principes supérieurs communs motivant l’organisation.

Les mondes : tableau récapitulatif

(Boltanski & Thévenot, 2008)

Le paradigme du don

(Caillé & Grésy, 2017)

Au départ des recherches menées par l’anthropologue Marcel Mauss, il a été démontré que tous les sujets sociaux inscrivent leur existence dans une logique de l’alliance ou de la défiance, du don ou du contre-don. Ces dons et contre-dons fondent la base des relations humaines, y compris au sein de l’entreprise et du management : ainsi, le succès ou l’échec d’une entreprise dépend des échanges de dons que se font ou se refusent les salariés.

Ainsi, il a été montré que cette logique du don et du contre-don tisse toutes les relations et fonctionne donc dans toutes les directions :

  • De manière horizontale (entre collègues) et verticale (hiérarchie) ;
  • En interne et en externe ;
  • Vis-à-vis de soi : sentiment du travail bien fait lorsqu’on a laissé s’exprimer ses talents, ce qui mène à l’accomplissement personnel. (Caillé & Grésy, 2017, p. 227)

Sur un mode axiomatique, tous nos actes reflètent une part d’intérêt pour soi et une part d’intérêt pour autrui (aimance, empathie). Par ailleurs, ces actes comprennent également une part d’obligation, de contrainte (ce qu’on fait par devoir), et une part de liberté, de créativité (ce qu’on fait par plaisir d’être inventif et autonome). C’est dans l’équilibre « à l’intersection de ces deux couples d’opposé que se situent la sagesse individuelle, l’harmonie politique et l’efficacité organisationnelle. Et c’est dans cet équilibre que les sujets humains peuvent accéder à la reconnaissance à laquelle ils aspirent et qui constitue leur véritable moteur. » (Caillé & Grésy, 2017, p. 59)

Par ailleurs, la condition pour éviter une lutte pour la reconnaissance entre deux sujets humains est d’une part que leur désir de reconnaissance s’efface en partie en se pliant aux obligations, à une loi supérieure, et d’autre part qu’ils éprouvent un plaisir partagé dans une activité libre, créative. En outre, cette soumission à la règle et ce plaisir partagé ne dureront et ne seront profitables à l’organisation que s’ils favorisent l’amitié, la solidarité, la camaraderie. (Caillé & Grésy, 2017, p. 179)

Le défi dans une organisation est d’atteindre un équilibre entre le respect de la liberté de chacun et une efficacité maximale.

Visant cette efficacité, de nombreuses organisations ont mis sur pied des outils de mesure des performances individuelles. Cependant, ce « reporting » systématique induit une soumission et une perte d’autonomie. Au contraire, « une politique organisationnelle de la dignité bien comprise est la condition même de l’efficacité durable. » (Caillé & Grésy, 2017, p. 13)

Des recherches menées dès 1939 (Roethlisberger, Dickson, & Wright, 1975) ont démontré, sans jamais être réfutées, que le seul fait de s’intéresser avec bienveillance et respect aux travailleurs suffit, toutes choses égales par ailleurs, à accroître leur motivation et leur productivité.

En outre, les organisations fonctionnent sur un double registre, celui de l’organisation formelle et celui de l’organisation informelle. Alors que l’organisation formelle est celle de l’organigramme qui distribue les tâches, les autorités et les compétences, celle qui est mise en place par la direction et connue, l’organisation informelle est ce que la direction ne voit pas et ne peut voir : il s’agit de l’ensemble des relations interpersonnelles d’un point de vue humain, et dont émergent des leaders informels. C’est en quelque sorte la « face cachée de l’organisation », et le défi pour le management est de saisir ce qui se joue du côté de l’informel, sans quoi l’organisation formelle ne fonctionnera pas correctement. (Caillé & Grésy, 2017, p. 16‑17) Ainsi, il apparaît notamment que « la dimension subjective du bien-être au travail est indissolublement liée au travail bien fait et à la possibilité d’en débattre avec ses pairs. » (Caillé & Grésy, 2017, p. 233).

Par ailleurs, les études Whitehall ont analysé des milliers de facteurs de risque psychosociaux, dont il ressort que « c’est le sentiment de ne pas avoir d’autonomie et de contrôle sur son travail qui constitue le facteur le plus important de mauvaise santé. » (Caillé & Grésy, 2017, p. 233)

Une des questions centrales est de savoir ce qu’un employé reçoit en contre-don lorsqu’il « s’adonne à la tâche ». C’est là que le manager se trouve sur le fil de l’équilibriste, à devoir se positionner entre ce qui lui est demandé (management formel) et ce que lui donne son équipe (essentiellement management informel). Il s’agit pour lui, jour après jour, de réengendrer le cercle vertueux de la coopération et du travail pris à cœur. Il s’agit ici de « tirer parti de la volonté de donner des salariés ». (Caillé & Grésy, 2017, p. 234)

« Le problème de santé n’est pas un
problème de la médecine du travail,
c’est un problème de management. »


Henri Lachmann [1]

Le rôle de la hiérarchie est d’être « bien plus dans la conciliation que dans une posture d’injonction ou de domination ». Il s’agit de « introduire un haut degré de coopération, multiplier les lieux et les occasions de négociation » : « le pouvoir et la règle n’ont d’efficace que s’ils sont au service du don et de l’adonnement ». (Caillé & Grésy, 2017, p. 189)

(Caillé & Grésy, 2017, p. 183) :

Pour autant, les dons et contre-dons ne suffisent pas à résoudre comme par miracle les difficultés organisationnelles. Il reste à s’interroger sur l’(in)adéquation possible entre structure formelle et informelle, entre dynamique de l’efficience et logique de l’efficacité.

(Caillé & Grésy, 2017, p. 191‑193)

La demande est à l’intersection de

  • l’obligation physique, biologique ou sociale qui se traduit par un manque, un besoin, un désir et de l’intérêt pour soi et
  • l’intérêt pour soi : c’est le moi qui est en cause.

Le recevoir est son complément, à l’intersection de

  • l’intérêt pour soi (le moi doit être satisfait) et
  • la liberté (avec le moins d’obligation et le plus de liberté possible).

Symétriquement, le donner est à l’intersection de

  • l’intérêt pour autrui (on donne à l’autre pour lui signifier l’intérêt qu’on lui porte)
  • la liberté (on donne avec spontanéité en offrant au donataire, en principe, la liberté de ne pas rendre).

Dans le rendre, on s’acquitte d’une dette contractée envers l’autre en raison de son intérêt pour autrui parce qu’on y est obligé.

L’organisation devient diabolique quand des individus (le management) s’arrogent toutes les libertés tandis que d’autres (les collaborateurs) héritent de toutes les obligations : le cycle du demander-donner-recevoir-rendre est perverti.

La disparition des dons entraîne l’étiolement des liens sociaux, allant jusqu’à affaiblir le collectif de travail, et l’entreprise ne sait comment agir face aux conséquences de ces violences. (Caillé & Grésy, 2017, p. 72)

Exemples

Du côté de la hiérarchie :

  • la direction exige au lieu de demander ;
  • elle rejette les suggestions, elle ne reconnaît pas les dons.

Du côté de la base :

  • le travailleur ne s’investit pas, il en fait le moins possible ;
  • il tire parti du travail des autres sans « faire sa part ».

La valse du don : tableau des pathologies possibles (Caillé & Grésy, 2017)

L’analyse stratégique

(Crozier & Friedberg, 1977) (Amblard, 2005, p. 22‑43)

L’analyse stratégique est considérée ici comme un filigrane en arrière-plan de l’analyse: elle agit en théorie transversale des autres théories ciblées.

L’objectif de l’analyse stratégique est de déterminer comment se construisent les actions collectives à partir des comportements individuels. Pour ce faire, on part de l’acteur et de ses stratégies, qui dépendent d’une part du jeu des autres acteurs, et d’autre part de ses ressources disponibles.

L’idée est que l’acteur se comporte en fonction du comportement (possible) des autres en fonction des opportunités qui se présentent et des atouts dont il dispose.

Principes

  • Le concept de stratégie comprend un aspect offensif (améliorer sa capacité d’action) et un aspect défensif (préserver ses marges de manœuvre).
  • Même si les projets de l’acteur ne sont pas clairs et cohérents, le comportement n’est jamais absurde : il a toujours un sens dans le contexte et en fonction du jeu des autres acteurs.
  • Chaque comportement est actif (la passivité est une forme de l’action).

Postulats

La capacité d’action dont dispose l’acteur repose sur quatre postulats :

  • Construit
    L’organisation est un construit contingent : la manière dont elle se structure dépend de l’influence des variables du contexte (technologies, système institutionnel notamment) ainsi que des buts que se proposent les dirigeants (Mintzberg, 2011)
  • Liberté
    L’acteur est relativement libre – il est capable de donner une interprétation à son rôle en mettant à profit les ambiguïtés qu’il recèle.
  • Choix des buts
    Les objectifs de l’organisation et ceux des individus sont au moins partiellement différents : les intérêts se recouvrent, mais jamais complètement.
  • Rationalité limitée
    Pour parvenir à ses fins, l’acteur calcule, pas à pas : sa rationalité est limitée car il n’a jamais toute l’information au départ ; il cherche la satisfaction en fonction des circonstances.

Jeux d’acteurs en situation

La démarche de l’analyse stratégique permet d’analyser les jeux et les marges de manœuvre de l’acteur en fonction des opportunités de la situation et du jeu des autres acteurs. L’acteur agit par intérêt au prix du conflit, de la négociation ou de l’intégration. Il ne s’agit pas d’utilitarisme, mais de positionnement par rapport aux enjeux dans une relation aux autres acteurs. Ce faisant, l’acteur est confronté à un système d’action déjà construit et au changement constant de ce système : la question du pouvoir de l’acteur est donc centrale dans l’analyse. Le jeu du pouvoir participe ici de la création du lien social.

Les zones d’incertitude

Un événement, une faille, un changement dans les habitudes ou dans les individus bouscule ce qui semblait acquis, qui devient soudain un enjeu, autour duquel les capacités offensives et défensives des acteurs vont s’exprimer.

L’incertitude permet une redistribution des cartes. Ainsi, lorsqu’une règle imposée par la hiérarchie semble inacceptable, l’action peut s’organiser sans difficulté entre exécutants lorsque ses raisons sont reconnues légitimes.

La compréhension des effets des zones d’incertitude sur la conduite des acteurs met en lumière leur stratégie, elle-même fonction de la situation. C’est dans cet ordre d’idées que le pouvoir est présenté sous son caractère relationnel, interactif, et donc réciproque : il est un champ de forces en tension qui recherche son point d’équilibre. Selon Friedberg, on entre dans une relation de pouvoir pour obtenir de la coopération.

Lien avec les économies de la grandeur

Ce pouvoir sous forme d’interaction nécessite donc une construction d’accords : la recherche explorera ces accords sous le prisme des principes supérieurs communs des cités et des mondes (Boltanski Luc & Thevenot Laurent, 1987)

Le système d’action concret

Selon Crozier et Friedberg, deux modes de raisonnement doivent être utilisés pour comprendre les articulations entre les jeux d’acteurs : le raisonnement stratégique et le raisonnement systémique. Le premier part de l’acteur pour découvrir le système et le second tente de retrouver l’ordre construit de façon arbitraire qui structure l’ensemble.

Raisonnement stratégique

Chaque acteur possède sa propre stratégie, qui prend du sens en fonction des opportunités de gain ou de perte dans une situation. Ces stratégies intègrent les contraintes du jeu global : les acteurs concourent finalement aux buts communs.

On cherche ici quel calcul est fait par chaque acteur pour déterminer son intérêt dans la négociation.

Raisonnement systémique

Effets et causes sont interdépendants à l’intérieur du système : des rationalités cachées s’articulant sur le système peuvent être mises au jour.

On cherche ici quel ensemble de cohérences s’imposent à l’acteur à travers le résultat des jeux auxquels il doit jouer.

Tout changement passe par la transformation des systèmes d’action : pour qu’il y ait changement, il faut que l’ensemble des éléments retrouve une autre logique interactive.

Le système d’action concret

Dans le cadre de la résolution des problèmes quotidiens, on observe la manière dont les acteurs sont concernés, dont ils confrontent puis coordonnent leurs points de vue et leurs actions : plus globalement, dont ils structurent leur mode de relation – conflits répétitifs, négociations systématiques, ententes durables, accords provisoires ?


[1] La santé au travail, « un problème de management », Libération, 18 février 2010