Résultats – perspectives

Une prise en compte des savoirs et des pratiques des publics organisés non formiques au regard des outils des cultural / performance studies.

1. Résultats : Sur la notion de subalterne et la correspondance avec notre public cible:

Pour définir la notion de subalterne et vérifier qu’elle correspond au public de notre recherche, nous devons retourner chez un auteur qui a défini cette notion : Antonio Gramsci.

Il est à noter que cet auteur est aussi à l’origine, l’inspiration du développement théorique des Cultural Studies. Cette définition originelle chez Gramsci a elle-même évolué au cours de son œuvre complexe, articulée et historicisée. À son origine, voici comment était défini le mot subalterne chez Antonio Gramsci : « … le qualificatif « subalterne » commence ensuite à être utilisé au sujet soit des groupes sociaux les plus marginaux, soit des classes fondamentales bien qu’encore non hégémoniques… »[1]

Mais, c’est dans sa dimension plus antagonique et son rapport avec la notion de dominant qu’il nous semble intéressant d’aborder ce concept en lien avec notre recherche : « … Le nouvel usage du terme « subalterne » est dialectiquement lié au terme « dominant…»[2].

Une autre dimension de cette définition est une forme d’hétérogénéité du concept de subalterne en lien à la notion de classe qui subissent l’initiative de la classe dominante[3].Suite à nos observations notre public cible initial ( populations migrantes, public précarisé,…) semble complètement rentrer dans cette définition. En supposant que la transition écologique soit une initiative de la classe dominante ? Et que les populations subalternes subiraient cette initiative ? Sans y être concrètement impliquées ni même consultées ? 

Mais alors, où situer les populations que nous avons pu observer au cours de cette première année de recherche et qui sont déjà impliquées dans des formes d’organisation, d’action collective dans des processus de transition ? Ici encore, nous avons choisi d’utiliser l’éclairage de Gramsci.  « …Pour les classes subalternes l’unification ne se produit pas : leur histoire est mêlée à celle de la « société civile », elle en est une fraction…»[4]

A l’occasion de notre première observation sur le terrain, dans le cadre d’un appel à un foyer des luttes à l’initiative du Centre social auto-géré « Entre-Murs Entre-Mondes »,  nous avons pu identifier une séries d’individus issus d’organisations émanant de de la société civile et déjà engagés, la plupart du temps, dans une démarche militante ancienne(Cfr liste des contacts). Cet ancrage dans la société civile semble correspondre à la définition que Gramsci fait de la notion de subalterne. Mais n’y-a-t-il pas des définitions plus contemporaines qui nous permettent d’affirmer que notre public pourrait s’inscrire dans celles-ci ?

A l’occasion des mouvements sociaux en 2015 aux États-Unis, notamment avec le mouvement Occupy Wall Street. Le concept de subalterne a été redéfini. « …Dans une perspective gramscienne, de la « crise organique » des institutions politiques et de leur perte de légitimité découlent, d’une part, une autonomisation progressive des institutions des bases sociales qu’elles sont censées représenter et, de l’autre, la nécessité de produire des formes innovantes d’organisation politique, susceptibles de remplacer l’ancien système par un nouveau bloc historique et une stratégie politique des subalternes…»[5]

Notre public identifié semble donc se situer dans cette continuité. « …Face au contexte « post-politique » de la gouvernance globale et de l’idéologie néo-libérale, semble s’ériger, sur les cinq continents, une nouvelle forme de politisation des sociétés civiles, les mouvements d’abord altermondialistes, puis  ceux  des Indignés  et  des printemps  arabes,  étant considérés comme des manifestations de dissensus et d’indignation… »[6]

Le mouvement des Gilets Jaunes à l’automne 2018 semble aussi s’inscrire dans cette continuité identitaire des mouvements sociaux qui émergent depuis une vingtaine d’années. 

Avec aussi à l’origine une rupture hégémonique comme amorce de son appartition dans l’explication que nous en livre Christophe Mileschi.[7]Une de nos dernières séances d’interviews s’est d’ailleurs déroulée à l’occasion de la Commune des Communes à Sampigny. Celle-ci s’inscrivait dans le prolongement des assemblées des assemblées initiées par les Gilets Jaunes de Commercy. Nous avons donc également croisé des Gilets Jaunes au cours de cette première année de recherche. Puisque la question de l’écologie sociale est au cœur de cette nouvelle forme de mobilisation qui fait se croiser les enjeux démocratiques, écologiques d’autonomie et d’auto-gestion.

Au regard de ces deux définitions du concept de subalterne, nous pouvons donc considérer que chacun de nos publics rencontrés dans le cadre de notre recherche s’inscrit dans l’une ou l’autre de ces définitions de subalterne que nous venons de détailler.


[1]Guido Liguori, « Le concept de subalterne chez Gramsci », Mélanges de l’École française de Rome – Italie et Méditerranée modernes et contemporaines [En ligne], 128-2 | 2016, mis en ligne le 03 novembre 2016, consulté le 20 mai 2020. DOI : https://doi.org/10.4000/mefrim.3002

[2]Idem

[3]Idem

[4]Idem

[5]Ciavolella, R. (2015). Un nouveau prince au-delà des antinomies : lectures de Gramsci dans les mouvements sociaux contemporains. Actuel Marx, 57(1), 112-124. doi:10.3917/amx.057.0112.

[6]Idem

[7]Mileschi,C. ( 2018) Gilets jaunes,  ou la révolte des subalternes. Historia Magistra : rivista di storia critica : 28, 3, 2018p 11 à 14. DOI: 10.3280/HM2018-028002

2. Perspectives : La crise sanitaire du Covid-19, un amplificateur de l’existant.

La situation liée à la crise sanitaire du Covid-19 exacerbe les singularités, l’individuel l’est encore plus, le collectif partage davantage, les inégalités sont renforcées, le climat respire, le Capital bave d’avidité, les questions éthiques prolifèrent… le contexte est historique et les enjeux le sont tout autant. Dans ce contexte le virus joue un rôle d’amplificateur de l’existant. 

Cette situation révèle que nos sujets d’observation sont dans des dynamqiues de temps long. Et cette situation fait surgir la question de l’impréparation face à l’urgence. 

Comment la société civile ( selon la notion d’intellectuel organique diffusant la culture et la capacité critique chez Gramsci )  peut-elle se faire entendre, réagir et agir dans cette période de reprise qui va être déterminante pour l’avenir ?

Cette période de reprise post-corona apparait cruciale dans le rapport de forces entre le Capital, les Etats et les citoyens. Couplée à l’ensemble des menaces d’effondrement, cette période de reprise et de dé-confinement va correspondre à notre deuxième année de recherche.

Il semble plus que jamais essentiel et actuel de rencontrer les publics en contexte et de nous laisser guider par le terrain.

Perspectives :

  • Finalisation du recueil des données empiriques (Forêt de Louhan notamment)
  • Croisement des données via le logiciel Target
  • Rédaction des résultats de la recherche et, en parallèle, poursuite des lectures sur les notions de domination, de leadership, d’alliance, de démocratie directe et d’action concrète.
  • Restitution des résultats chez Kali (cafétéria collective)